Journée Internationale de la Femme : Entretien du Dr Fatoumata Sakho, Coordonnatrice du Programme de Lutte contre les MTN
février 12, 2021La Coordonnatrice du Programme de Lutte contre les Maladies tropicales négligées (MTN) en Guinée Conakry, Dr Fatoumata SAKHO a, à l’occasion de la Journée Internationale de la Femme, accordé un entretien à l’institution de communication Speak Up Africa.
Au cours de cet entretien, cette femme exceptionnelle a expliqué comment elle a fait bouger les lignes en Guinée Conakry par sa persévérance et son engagement depuis de nombreuses années en matière de prévention et de lutte contre les Maladies tropicales négligées.
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Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis Dr Fatoumata SAKHO, Coordonnatrice du Programme de Lutte contre les Maladies Tropicales Négligées (MTN) de la Guinée Conakry depuis Juin 2019. Auparavant j’ai été coordonnatrice, pendant de nombreuses années, du programme national de lutte contre la lèpre qui a récemment rejoint le programme de lutte contre les MTN que je dirige.
Quel est l’historique de ce programme unifié de lutte contre les MTN ?
Cette alliance est le fruit d’une analyse de la situation par le Ministère de la Santé suite à la raréfaction des ressources. Les programmes étaient gérés individuellement avec un lieu distinct et l’octroi d’un financement, selon le programme, pour réaliser des activités. Prenons l’exemple du programme de lutte contre l’ulcère de Brûlis : il fallait réunir les programmes, en réduire le nombre -de vingt à sept – et c’est ainsi que le programme de lutte contre la lèpre, le programme THA, le programme MTN à CTP et celui de l’ulcère de brulis ont été réunis dans le groupe de maladies tropicales négligées. L’État a mis à la disposition de tous les collaborateurs deux bâtiments. Notre gestion s’en a trouvée optimisée et les anciens programmes remplacés par des unités, elles-mêmes gérées par la coordination que j’assure avec un adjoint.
Décrivez-nous votre parcours jusqu’à aujourd’hui ?
A la mise en place des soins de santé primaire, j’ai démarré comme chef de centre de santé à Forécariah où je suis restée pendant 17 ans en qualité de médecin chargé de la lutte contre la maladie et coordinatrice de la lèpre avant d’être affecté à Conakry dans les mêmes fonctions. Après quelques années, j’ai été nommée coordinatrice adjointe du programme de lutte contre la lèpre pendant dix (10) ans. J’ai initié le projet la construction de ce bâtiment comme siège du programme afin de marquer mon action. J’ai pu rencontrer le ministre de la Santé de l’époque, le Dr Diallo, à qui j’ai exposé mon problème et qui a d’emblée soutenu mon projet. Le bâtiment, réalisé en huit (8) mois, a été inauguré à l’occasion de la journée mondiale de la lèpre avec la présence du président de la République. Il était ainsi naturel que l’on me confie la coordination du programme après des années d’engagement.
Quel a été le défi majeur pour vous ?
Il y avait deux défis majeurs : Avant toute chose, savoir communiquer et le faire à bon escient. Puis mettre en place et gérer une base de données car il est vital d’avoir un historique.
Comment avez-vous géré la crise pandémique pendant vos actions ?
Lorsque la crise pandémique s’est déclarée en Guinée en mars 2020, nous avons eu le premier cas le 12 Mars avec un épicentre à Conakry ce qui a complètement mis à l’arrêt l’ensemble des activités. Il fallait donc réagir et vite ! nous avons ainsi demandé à chaque programme d’élaborer un plan de contingence associé à notre note technique sur les normes du travail en tenant compte des mesures sanitaires comme par exemple ne jamais réunir plus de vingt personnes dans une salle, le respect de la distanciation, le port des bavettes, le dispositif de lavage des mains etc… En commun accord avec nos partenaires, nous avons identifié les différents risques, cependant les recommandations de l’OMS ont bloqué le processus. Sans attendre, j’ai alerté la direction locale de notre partenaire HKI sur le risque de péremption des médicaments. De plus, les populations ont besoin de ces médicaments, même ceux touchés par la Covid19, car ces maladies peuvent entrainer des risques de handicap. A force de persévérance nous y sommes arrivés ! Même chose avec notre partenaire principal Sightsavers. Suite à cela nous avons planifié un traitement de masse en Guinée Forestière pour trois districts et en Moyenne Guinée pour cinq districts couverts par le CRS. Nous avons réalisé le premier traitement de masse en Janvier 2020 dans huit districts du pays, puis le second en Aout dans 19 districts couverts par HKI. Et nous revenons de la Guinée Forestière, pour le traitement des adultes dans trois districts couverts par Sightsavers. Nous partons très bientôt vers la Moyenne Guinée pour couvrir 5 districts, nous aurons ainsi atteint nos objectifs de traitement de masse en 2020.
En quoi les OSC sont-elles été vos alliés ?
Depuis notre retour de Dakar, l’appui des OSC pour mener à bien nos actions a été inestimable sachant qu’avant à chaque fois que l’on parlait de MTN, les gens pensaient immédiatement à ARIBA/MTN qui est un réseau téléphonique, c’est dangereux, on ne peut pas lutter contre une maladie que l’on ne connait pas ! En partenariat avec les OSC, nous avons pu déployer un programme constructif pour expliquer les MTN et leur impact aux populations : planifier des actions de sensibilisation auprès des parlementaires, des médias et des leaders communautaires, mettre en place une feuille de route avec comme priorité les assises communautaires dans l’ensemble des districts du pays. Nous avons associé les OSC à chacune de nos actions de plaidoyer et déplacement concernant l’ulcère de brûlis, la THA et la lèpre. Par exemple quand nous sommes allés en Éthiopie, j’ai demandé à avoir un financement pour une formation pour harmoniser la compréhension des MTN. Les parlementaires, nous ont écoutés et se sont engagés à nous accompagner dans notre plaidoyer pour augmenter les budgets. Nous allons poursuivre notre mission avec de nouveaux parlementaires. Les OSC en Guinée on a apporté leur contribution de façon efficace, parce que les médias sont aujourd’hui mieux informés sur les MTN et arrivent même à citer quelques maladies. Notre collaboration avec les OSC est un vrai succès.
Quels vont être vos prochains « combats » pour 2021 ?
Une de nos priorités va être l’hygiène, indispensable partout, que cela soit dans la prévention ou la prise en charge des cas comme lors des épidémies d’Ébola ou actuellement avec la Covid-19 mais aussi la prise en compte de l’eau. A cet effet, nous prévoyons de rencontrer le ministère de l’environnement en vue d’identifier les domaines de collaboration et contribuer à l’amélioration de la santé de la population. Je recommande à tous (communauté et autorités), de placer en priorité le lavage des mains pendant les épidémies et en dehors aussi, car ce geste permet vraiment de prévenir beaucoup d’affections. Je veux vraiment que la population sache qu’on doit s’approprier ce geste, vivre avec et avoir à l’esprit qu’avant et après les repas, après les toilettes, il faut se laver régulièrement les mains au savon pour se protéger et protéger les autres. Nos autres priorités pour 2021 sont la réalisation d’enquêtes que nous serons en mesure de faire lorsque tous les districts auront reçu les cinq (5) tours de traitements.
Parlez-nous des enjeux de la journée mondiale de lutte contre les MTN ?
L’organisation d’une journée mondiale de lutte est l’occasion d’attirer l’attention des autorités nationales et internationales autour du programme et par-là même de faire un plaidoyer à tous les niveaux pour renforcer les activités que nous planifions en vue d’atteindre nos objectifs. C’est une occasion pour nous d’interpeller et d’être entendus à grande échelle, de présenter le programme, les acquis, les perspectives et les défis et que chacun apporte sa contribution en faveur du programme de lutte contre les MTN. Les communautés auront un grand intérêt à comprendre ce que sont les MTN et leurs effets, quels sont les symptômes comment s’en préserver, à qui s’adresser en cas de besoin,…. Les communautés vont en tirer profit, parce que le porte à porte est impossible à déployer partout pour un sujet de cette envergure. Une communication de masse via la télévision et la radio constitue la seule force de frappe pour sensibiliser. Si les communautés comprennent le bien-fondé de nos actions lors des traitements de masse, – il y a des MTN qui se traitent par la chimiothérapie préventive et d’autres par le dépistage-, pris en charge cas par cas, elles pourront faire la part des choses. Il faut savoir que les traitements de masse ne sont pas toujours acceptés s’ils ne pas compris. En conclusion, la journée mondiale permet « d’officialiser » notre démarche importante -et pas seulement la distribution de médicaments – et légitimée par le Ministère de la Santé qui gère toutes les structures du pays.
Quel est votre message pour le futur ?
Je lance aujourd’hui un appel rempli d’espoir pour renforcer la contribution de tous (autorités, partenaires, OSC) que je remercie chaleureusement pour leur engagement jusqu’à présent à nos côtés afin de contrôler et éradiquer les MTN. Cependant tant que ces maladies séviront, nous aurons toujours besoin d’une contribution collective -civile, gouvernementale et communautaire- toujours plus importante. Ne baissons jamais les bras !
FIN